Les origines de la Broderie en Bretagne

Origines

Du moyen âge à la Révolution, la broderie et la dentelle sont l’apanage d’une classe restreinte de privilégiés appartenant au clergé et à la noblesse. Grâce à l’ornementation des vêtements, de l’ameublement et des pièces d’apparats, ils affichent leur aisance et leur rang. La confection de ces ornements de prestige est soumise aux lois somptuaires, et les maîtres brodeurs et les ateliers des congrégations religieuses en ont le monopole. L’accession à la profession est longue et codifiée, et l’usage de la broderie est interdit aux tailleurs des autres classes sociales. Avec le coût élevé de ces ornements, cette réglementation stricte explique que l’on ne retrouve guère de traces de broderies sur les costumes populaires avant le XIXème siècle.
L’abrogation des lois somptuaires lors de la Révolution française et le développement économique des populations rurales, la circulation et la disponibilité des matériaux textiles, ainsi que la chute de leur coût du fait de l’industrialisation engendrent l’explosion rapide des guises coutumières et leur diversification. On assiste alors à une expansion spectaculaire de la broderie et de la dentelle, en Bretagne particulièrement.
Les plus anciennes pièces muséographiques du costume traditionnel breton remontent au tout début du XIXème siècle : un porpant (c’est-à-dire une longue veste d’homme) de Noyal-Pontivy est daté de 1811 ; il est brodé de chaînettes et de fausses boutonnières rouges sur drap noir, et orné de palmettes et d’un Sacré-Cœur sur la poitrine ainsi que des fameuses « dents de loup » sur les manches et sous les emmanchures ; un gilet bigouden à double plastron de 1814 est orné de palmettes et de fleurons néoclassiques multicolores sur le plastron droit, et de bandes bleu-blanc-rouge encadrées de soie jaune sur le plastron gauche.
La facture rustique de ces broderies, associant points de couture et de chaînette, semblerait indiquer qu’elles ont été réalisées par des tailleurs « populaires ». Nombre de costumes brodés les années suivantes présentent les mêmes types d’ornements multicolores associés à des applications de rubans, au niveau des bordures, des encolures, des manches, des poches et des coutures, comme sur les habits à la française du siècle précédent.
Au début du XIXème siècle se diffuse aussi le tulle mécanique. Nouveau support de broderie, il permet d’imiter la dentelle et de réaliser des parures aériennes. Il séduit les Bretonnes au point qu’elles s’en confectionnent des châles, des tabliers, des cols et surtout des coiffes : poupettes rennaises, dormeuses nantaises, cornettes trégoroises ou douarnenistes…
Expansion
L’art de la parure trouve bien sûr sa pleine expression dans les costumes de fête. Avec le développement des savoir-faire des tailleurs et des lingères et la diffusion de nouveaux matériaux, les techniques de confection se précisent, les motifs se spécifient et leur exécution gagne en qualité. D’abord discrètes, les broderies recouvrent progressivement jupes, tabliers, corsages, vestes, châles, rubans, cols, coiffes… chacun voulant en montrer davantage. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, apparaît ainsi une ornementation riche et variée, distincte d’un terroir à un autre.
La profession aussi s’organise : itinérants à l’origine, les tailleurs se sédentarisent, ouvrent des ateliers dans les bourgs et s’équipent de machines à coudre. Ils se font « tailleurs-brodeurs », ou « brodeurs », se répartissant les tâches de façon à optimiser la confection. Rivalisant d’habileté et de créativité pour parer leur clientèle, ils intègrent la mode dans le costume traditionnel, avec leur interprétation locale. Leurs talents vont dépasser les frontières bretonnes et certains se font remarquer aux expositions universelles parisiennes. La broderie bretonne connaît alors son « âge d’or » et s’exporte pour orner les parures de l’impératrice Eugénie, les chasubles des princes d’église, ou étoffer les rayons de dentelles à la main des grands magasins.
Au tout début du XXème siècle, des mouvements caritatifs et politiques de défense de la dentelle à la main et de lutte contre l’exode rural vont donner un second souffle aux productions bretonnes. Les populations de pêcheurs sont dans la misère car la sardine a boudé les côtes bretonnes : marins et ouvrières des conserveries sont donc sans ressources. Des dames d’œuvres touchées par ce drame initient alors quelques ouvrières à la dentelle d’Irlande et aux carrés sur filet. Relayé par des congrégations religieuses, cette initiative donne le jour à de nombreux ateliers ou ouvroirs, qui emploient les jeunes filles aux travaux d’aiguilles : Irlande, filet brodé, dentelle sur tulle… Beaucoup d’ouvrières travaillent également à domicile. Leur production est expédiée vers les grandes villes, et jusqu’aux Etats Unis. Cette activité se poursuit jusqu’à la seconde guerre mondiale, et le marché s’oriente progressivement vers le tourisme.
Pendant cette période, les costumes traditionnels ont beaucoup évolué. Après la première guerre mondiale, leur déclin s’est accéléré pour les hommes. Les goûts changent, ainsi que les broderies : les costumes féminins s’allègent et raccourcissent, en revanche, les coiffes s’affolent. Les ornements traditionnels laissent place aux motifs floraux qui s’accommodent de rubans, de chenille de soie et de semis de perles. Entre les deux guerres, la communauté des brodeurs s’étiole avec la raréfaction du costume traditionnel, devenu peu pratique, désuet et trop onéreux.
Brodeuses de Pont-Labbé (Coll.privée)
Brodeuses de Pont-Labbé (Coll.privée)
Heureusement, le savoir-faire ne s’est pas complètement perdu. Grâce à des amateurs éclairés, des associations et des cercles celtiques, les techniques de broderie ont été conservées et transmises. Ce renouveau a même suscité des vocations puisqu’il existe aujourd’hui des brodeurs traditionnels bretons qui font profession de leur art. Nombre d’amateurs s’y adonnent également. Témoignages d’un riche patrimoine culturel, leurs créations font encore rayonner la broderie et la dentelle bretonnes.

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