La naissance du CELIB

Assemblée générale du CELIB le 18 juin 1962 à Lorient - coll privée
Assemblée générale du CELIB le 18 juin 1962 à Lorient – coll privée

Le problème breton et la réforme de la France. Tel était le titre déjà caractéristique du premier livre consacré à la Bretagne paru après la Libération, en juillet 1947. On peut dire qu’à ce moment-là, la Bretagne se trouvait dans la situation la plus défavorable qu’elle n’ait jamais connue dans son histoire. En réalité, elle n’existait plus. Après avoir été duché, puis province, elle était devenue depuis la Révolution un simple ensemble de départements et son nom avait disparu. On parlait d’elle comme de la “ci-devant” Bretagne. Mais il devait lui arriver quelque chose de pire. À l’intérieur de cet ensemble de départements, elle avait gardé sa forme historique jusqu’au moment où, ce qu’un journaliste a appelé le “hold-up de Pétain”, en 1941, la Loire-Inférieure lui fut arrachée. Par la suite, il ne sera plus question, lorsqu’on voudra parler d’elle, que de la Bretagne des quatre départements.
En outre, en 1947, elle sortait d’une période qui allait être très funeste pour elle, car le fol égarement d’une poignée des siens qui avait créé la formation Perrot, passée au service de l’Occupant, ferait oublier que la grande majorité des Bretons s’était rangée dès le début dans leur cœur et plus tard dans l’action, d’une manière souvent héroïque, du côté de la Résistance. À cause de cette faute dramatique, il ne sera plus possible à la Libération de prononcer le mot Bretagne sans risquer l’assimilation à la collaboration.
Il était donc très audacieux de vouloir relancer dès 1947 l’action bretonne, mais la situation était telle que ce devoir s’imposait. Or j’étais probablement un des seuls en mesure de tenter cette entreprise et c’était le sens du livre que je lançais à ce moment, le hasard ayant voulu que quelques jours après, Jean-François Gravier fasse paraître Paris et le désert français, ce qui était une pure coïncidence, car nous ne nous connaissions pas encore, mais ce qui montrait bien que l’on pouvait faire, dans le cadre de la France nouvelle qui était en train de se construire, une place personnalisée à la Bretagne.
Encore fallait-il se dégager de cette suspicion qui pesait sur tout ce qui était breton et c’est le livre que je viens de citer qui le permit. En effet, quelques jours après sa parution, je reçus une lettre du nouveau maire de Quimper, Joseph Halléguen, ancien pilote de la France Libre, qui me disait :”Je viens de trouver par hasard votre livre dont je partage les idées et je suis à votre entière disposition si vous entreprenez de passer à l’action dans ce sens.” D’autres réactions m’encouragèrent également, en particulier celle de François Tanguy-Prigent, leader socialiste et l’un des chefs de la Résistance en Bretagne (qui était alors ministre), et celle du docteur Vourc’h, président de Sao Breiz, c’est à dire l’association des Bretons qui avaient rejoint De Gaulle à Londres à partir de 1940…
Mais quelle était donc l’idée nouvelle que ce livre lançait ? Après avoir moi-même tenté de faire ce que l’on me conseillait, à savoir organiser un nouveau mouvement breton autour d’un journal ou d’une revue, j’en étais arrivé à la conclusion qu’on aurait beau réunir plusieurs centaines de personnes dans un parti breton, fut-il fédéraliste, comme j’y avais d’abord pensé, cela n’aurait eu aucune influence sur une IVe République, qui s’annonçait particulièrement jacobine. Il fallait faire tout à fait autre chose et, puisque ce qui manquait à la Bretagne, c’était des institutions, pourquoi ne pas tenter de les mettre en place nous-mêmes d’une manière pragmatique, et qui pourrait d’ailleurs servir d’exemple ou de modèle à une France régionalisée comme le préconisait Jean-François Gravier.
Mettre en place nous-mêmes des institutions, ce n’était pas un rêve car, enfin, si la Bretagne n’avait aucun organisme représentatif d’elle-même, elle avait des milliers d’élus, maires, conseillers généraux et surtout parlementaires qui, eux, étaient déjà représentatifs de la Bretagne, j’allais dire : sans le savoir.
C’est cela que nous avons décidé d’entreprendre, Joseph Halléguen, François Tanguy-Prigent, moi et quelques autres : regrouper dans un organisme se situant à l’écart des divisions politiques, regroupant un maximum d’élus bretons et avec un programme de relèvement, programme qui allait reprendre tout ce qui devait être engagé, secteur par secteur, pour venir à bout de l’extraordinaire retard qu’avait pris la Bretagne, comme l’a dit Jean Ollivro, et qui faisait qu’elle était non seulement oubliée par le pouvoir central mais par les Bretons eux-mêmes, qui étaient passés à côté de toutes les chances qu’ils auraient dû saisir au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, en manquant le tournant de l’industrialisation.
Après de multiples rencontres à Paris et en Bretagne en 1948 et 1949, le moment nous parut venu de lancer franchement l’initiative et de convier à une première réunion qui serait présidée par Joseph Halléguen, à la Mairie de Quimper, le 22 juillet 1950, et qui serait conviée par le journal La Vie bretonne, que je venais de créer, le maximum d’élus et d’autres responsables publics, avec comme seul ordre du jour : la création d’un comité de liaison des intérêts bretons, strictement apolitique, avec un programme très simple : réaliser l’union de tous autour de mesures d’urgence qui s’imposaient et en particulier s’adresser à tous les candidats à l’élection législative de juin 1951 pour qu’ils prennent l’engagement de constituer à l’Assemblée Nationale un intergroupe qui se réunirait chaque mois, avec la participation de sénateurs également, et pèserait sur les gouvernements avec tout le poids que pourrait donner l’apparition de cet organisme d’union tout à fait inhabituel si l’on réussissait à le constituer et à le faire fonctionner réellement.
Il était évident qu’un nom manquait sur la liste, celui de René Pleven, ministre et bientôt président du conseil, mais je m’en étais entretenu un peu confidentiellement avec son chef de cabinet, Jeanne Sicard, qui approuvait cette idée, mais nous étions convenus de nous contenter dans une première étape de faire représenter le président par un membre de son cabinet et qu’il ne participerait lui-même que lorsque le projet aurait réellement pris forme, c’est à dire, après les élections de juin 1951 et lorsque le nouveau gouvernement serait constitué : la chance de l’histoire voulut que le gouvernement issu du scrutin de juin 1951 soit présidé par René Pleven et qu’il accepta à ce moment tout en étant chef du gouvernement, de devenir président du CELIB.

« C’était vraiment la Bretagne toute entière rassemblée dans l’union pour son relèvement… »Ainsi se trouvaient désormais en place les éléments qui allaient permettre de réaliser un rassemblement de toutes les forces bretonnes car la présence des élus parlementaires allait faciliter tous les autres contacts en donnant une véritable crédibilité à l’action qui s’engageait.
En effet, dès l’ouverture de la session d’octobre 1951, se constitua la commission parlementaire du CELIB qui, pendant près de 20 ans, allait siéger chaque mois à l’Assemblée Nationale même et traiter de tous les dossiers qu’il fallait faire aboutir. Cela se fit toujours en liaison étroite avec toutes les organisations économiques, syndicales et culturelles qui apportèrent dès lors leur adhésion au CELIB, ce qui s’ajoutant à l’adhésion de la quasi-totalité des maires de Bretagne (y compris celui de Nantes), donnaient à l’organisme ainsi créé une puissance et une autorité tout à fait inhabituelles. C’était vraiment la Bretagne toute entière rassemblée dans l’union pour son relèvement.

L’une des premières idées que lança dès 1952 la commission parlementaire du CELIB, fut de ne pas se borner à traiter les dossiers un par un, mais d’établir un véritable plan breton
qui s’intègrerait dans la planification nationale et aussi, le CELIB le disait déjà, dans la perspective de la construction européenne. L’idée parut inacceptable au Commissariat au plan, mais l’autorité du président Pleven et celle de François Tanguy Prigent finirent par emporter son adhésion. Ainsi allait s’engager la grande bataille du CELIB pour une planification bretonne et bientôt pour une loi-programme.
Le travail fut coordonné sur le plan technique par Michel Phlipponneau d’une manière tout à fait remarquable dans le cadre de la commission régionale d’expansion du CELIB, mais il était évident pour tous ceux qui avaient l’habitude des combats politiques qu’on ne parviendrait pas à obtenir tout ce qui était réclamé, en une seule fois. En réalité, c’est sur l’ensemble des vingt années du CELIB que l’essentiel de la loi-programme allait être obtenu. Il y eut une exception assez surprenante, en mai 1968, lorsque le CELIB parvint à convaincre Georges Pompidou, premier ministre, que la Bretagne risquerait de se joindre à l’agitation parisienne. Les entretiens alors menés à l’hôtel Matignon – et Georges Pierret joua alors un rôle essentiel – permirent de faire passer d’un coup plusieurs dossiers très importants dont celui du Plan routier breton.C’est ainsi que fut lancé et conduit le CELIB qui devait toute son efficacité à l’union réalisée autour de lui. Il est évident que la mise en place des institutions régionales en 1974 créait une situation entièrement nouvelle et l’expérience conduite pendant vingt ans ne saurait être renouvelée dans ce nouveau cadre, mais du moins pourrait-on retenir que lorsque des problèmes essentiels se posent pour la Bretagne, cette union qui permit le réveil de 1950, pourrait être retrouvée.


Joseph MARTRAY, fondateur du CELIB
(Texte tiré du N°23 de la revue Sterenn)
 

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